26/10/23 paru sur Challenges
Inspirées par une pratique répandue aux Etats-Unis, plusieurs entreprises prospèrent en France dans le marché de la vérification des CV des candidats. Des diplômes aux expériences professionnelles, les candidats sont passés au rayon X. Pour les profils les plus recherchés, des détectives privés peuvent également vérifier leurs déclarations.
Emmanuel Chomarat s’éclipse quelques instants de son bureau pour aller chercher un épais classeur sur lequel il est marqué « faux diplômes ». Le fondateur de l’entreprise VerifDiploma en sort trois attestations de diplôme à première vue délivrées par l’Etat. "Regardez bien, seulement l’une d’entre elles est vraie, laquelle ?", met-il au défi. Après quelques instants de réflexion, il coupe : "Moi-même, je ne pourrais pas vous le dire !" Et pour cause, les faux diplômes n’ont aujourd’hui plus rien à envier aux authentiques.
"Il ne faut jamais se fier à 100 % à un document que vous donne un candidat. Il faut toujours vérifier", renchérit Emmanuel Chomarat.
6 recruteurs sur 10 confrontés à des faux CV
« Le marché de la vérification de CV est en pleine expansion, affirme de son côté Rafael Melinon, le directeur commercial et marketing de VerifDiploma. Nous avons ainsi doublé notre activité en trois ans », se réjouit-il.
Depuis 1989, le cabinet Florian Mantione, spécialisé en consulting en ressources humaines, a réalisé neuf études* sur les faux CV en contactant recruteurs et candidats. Selon leurs données* publiées l’année dernière, 62 % des recruteurs affirment avoir déjà constaté une ou plusieurs falsifications sur des CV.
Parmi les candidats, ils sont 88 % à estimer « normal d’arranger son CV » et plus de 60 % d’entre eux déclarent avoir « volontairement modifié » une information sur leur CV. Dans ces conditions, il devient de plus précieux pour les recruteurs de s’assurer des déclarations d’un candidat avant une embauche. Et pour cause : une erreur de casting coûte entre 30.000 et 150.000 euros, estiment plusieurs cabinets de recrutement.
Un marché à « cinq milliards de dollars aux Etats-Unis »
La vérification de CV ou le background check est directement importée d’une pratique anglo-saxonne. « Le marché représente aux Etats-Unis environ cinq milliards de dollars par an », explique Yohan Zibi, le fondateur d’Everycheck qui revendique aujourd’hui environ 50 000 vérifications par an. "En France, il faut compter des dizaines de millions d’euros et le taux de mensonges dans les CV augmente", affirme-t-il. Pour lui, la mission des entreprises de contrôle des candidats est "noble et toujours la même : rassurer le recruteur et assainir la relation entre le candidat avec la future entreprise."
Avec une base de données de plus de vingt millions de diplômés, Verifdiploma assure pouvoir donner des réponses 24/24 et automatisées à ses clients. « S’il n’y a pas de diplôme, alors il n’y a pas de réponse immédiate », affirme la direction qui emploie malgré l’automatisation de ses procédures une vingtaine de vérificateurs dans le centre dédié à Tours. L’entreprise, dont le siège social est à Versailles, travaille avec plus de 190 pays référencés pour vérifier les diplômes et expériences professionnelles à l’étranger.
Une vérification à l’internationale
« Nous comptons parmi nos clients des banques telles que BNP Paribas, des assureurs, des multinationales comme TotalEnergies ou encore le ministère chinois de l’éducation », égrène Emmanuel Chomarat. En effet, l’entreprise peut également « certifier les diplômes effectués par des Chinois en Europe » au moment de leur recherche d’emploi en Chine.
C’est la raison pour laquelle une bonne partie des salariés sont étrangers pour « comprendre la culture » des pays d’origine des clients. Du côté d’Everycheck, « plusieurs relais » dans le monde permettent aussi à la quarantaine de vérificateurs et informaticiens d’étudier un CV.
Mais quel est le profil de ceux qui sont embauchés pour vérifier des CV ? « On recrute des candidats entre bac +3 et bac +5 avec des connaissances dans le milieu des RH, explique Yohan Zibi. On a nos méthodes de formation en interne et on en fait des professionnels du recrutement en quelques semaines. »
« C’est un métier de curiosité, explique-t-on à VerifDiploma. Il faut aller chercher la bonne source, la bonne information sur le candidat. » Pour une vérification de CV, il faut compter entre 20 et 100 euros pour VerifDiploma et entre 60 et 80 euros pour Everycheck. Les tarifs les plus élevés comprennent une vérification de l’ensemble du parcours professionnel et des pièces d’identité. Le tout se fait systématiquement avec l’accord du candidat, comme l’exige le Code du travail. Pourtant, dans certaines situations, le candidat peut ne pas être informé du travail de vérification de son profil.
Le recours aux détectives privés
« Initialement, c’était un service rendu par les détectives privés », explique Emmanuel Chomarat qui a fondé Verifdiploma en 2001. « J’étais récemment en Afrique où nous avons ouvert un bureau à Abidjan et les clients sur place m’expliquaient qu’ils avaient toujours recours à des détectives privés assez chers car ils n’avaient pas connaissance d’entreprises comme la nôtre. »
En France, l’entreprise Afip détective privé, agrée par le Conseil national des activités privées de sécurité, réalise des vérifications de candidats en dehors du cadre traditionnel. « En général, on ne prévient pas le candidat car on veut que la prise de référence soit la plus authentique possible, explique Anthony Caudal, qui vient de racheter l’entreprise. Nos clients préfèrent que la vérification soit faite de manière discrète. »
Dans ces cas, la vérification du parcours des candidats, souvent pour des postes très importants, se fait « à l’aide de scénarios et de manière artisanale pour trouver des informations », développe Anthony Caudal. « En général, les candidats ne marquent pas sur leur CV qu’ils sont partis parce qu’ils harcèlent leurs salariés ou alors qu’ils se sont fait virer ». Et c’est à eux de le chercher. Et les tarifs sont sensiblement différents puisqu’ils oscillent entre 500 et 800 euros pour un profil.
Une faible mise en situation dans les entretiens en France
« Les postes de direction, les commerciaux, les RH et les métiers de la finance sont parmi les CV les plus vérifiés », affirme Augustin Valéro du cabinet Florian Mantione. « En général, les postes qui ne sont pas considérés comme stratégiques ne vont pas être contrôlés », selon lui. Il regrette aussi une trop faible mise en situation des candidats en France. « Les recruteurs cherchent toujours le mouton à cinq pattes à commencer par le diplôme et après le niveau de compétence. Vérifier l’expertise d’un candidat devrait être la priorité, mais il y a peu de mises en situation dans les entretiens qui restent très déclaratifs pour le candidat. »
Dans le livre noir des CV trompeurs, (éditions Athéna Paris), paru en 2018, Florian Mantione, le fondateur de l’institut de recrutement éponyme faisait déjà le même constat, avant de conclure : « l’expérience et la personnalité peuvent très bien contrebalancer l’absence de diplôme ». Une piste de réflexion pour les recruteurs.
* Etude réalisée sur la base de 348 réponses au questionnaire envoyé par mail aux recruteurs (Membre de direction, management, RH). 45 % des répondants sont des cadres avec une prédominance des fonctions commerciales et de direction. Ils ont entre 40 et 60 ans et sont composés d’hommes à 67 %.